Trio AAB

Pourquoi AAB ?

Tom : C´est une description de forme. Tu as deux choses, une répétition : A et A. Phil et moi sommes génétiquement les mêmes, donc nous sommes comme une répétition : A, A. Et puis Kevin est le B. C´est ça l´idée : décrire une forme musicale mais aussi la forme du groupe. Et puis aussi, il y a deux musiciens et un batteur, donc… Et aussi, Phil et Kevin sont tous les deux homosexuels, et moi non.

Pouvez-vous dire que vous êtes des musiciens de jazz ?

Tom : Oui, je crois que oui. Parce qu´on vient de l´improvisation traditionnelle et qu´on a commencé en étudiant et en jouant de la musique américaine. Mais je pense que maintenant en Europe il existe une musique traditionnelle très présente.

Pour vous, le jazz est américain ?

Phil : Je crois que maintenant, c´est comme une branche d´arbre qui se sépare en deux. Il y a toujours cette tradition américaine, qui a commencé à la fin du siècle dernier, et certains jouent toujours ces musiques : le be bop, le swing, le New Orleans. Et l´autre branche, ce sont les gens qui ont sûrement étudié cette tradition, mais ils sont du monde entier. Ils utilisent l´esthétique de cette improvisation traditionnelle, du swing, du vieux groove, la créativité, la liberté. Mais ils incorporent leurs propres approches, par exemple la musique folk, ou autre, peu importe.
Je crois qu´il y a 15 ans, c´est à New York qu´on pouvait trouver le plus facilement la musique la plus excitante. Alors qu´aujourd´hui, c´est beaucoup plus équilibré. Je veux dire que ça peut venir de New York ; il y a de la grande musique à New York, mais il y en a aussi en Norvège, en France, en Ecosse. C´est en train de devenir une musique globale. Mais il y aura toujours cette autre chose, qui est cette tradition américaine.

Est-ce que vous pensez qu´il y a une créativité spéciale en ce moment en Europe ?

Tom : Personnellement, je pense qu´il y a de la grande musique aux Etats Unis. Mais il y a aussi pas mal de musique là-bas qui est très… Un peu… ennuyante. Mais en ce moment, il y a vraiment de très bonnes choses qui viennent d´Europe, il a une scène à Amsterdam, il a une scène free en Europe qui est vraiment très originale. Il y a la musique scandinave… Ce sont vraiment des développements européens.

Pourquoi cette différence entre Europe et Etats Unis ?

Tom : Ils sont américains, ils pensent que le monde entier est américain, que le jazz est américain, et que si tu n´es pas américain, alors tu ne peux pas jouer de jazz… pas tous, bien sûr. Pas tous…
Phil : Je crois qu´il y a aussi ce problème d´identité. A New York, il y a cette énorme pression de la tradition, et tous ces lieux mythiques. Les jeunes musiciens sont vraiment sous cette énorme pression. Alors qu´en Europe, tu peux puiser dans les thèmes américains, dans la musique celtique. Tu es beaucoup plus libre d´expérimenter.
Je crois qu´il y a cette chose abstraite qu´est la musique, mais elle est portée par les gens. Et en Ecosse, il y a cette formidable rencontre de gens, qui sont musiciens ; certains viennent de la musique celtique, certains viennent du jazz, et alors ils se rencontrent, et ils font de la musique ensemble. Ce qui est important à 40 pour cent, c´est pourquoi les gens jouent, d´où ils viennent. Je crois que c´est génial d´avoir de la variété.
En Amérique, il y a cette énorme industrie de l´éducation maintenant. La plupart des musiciens sont éduqués dans des collèges alors qu´avant, je pense que c´était plus une communauté. C´était une communauté sociale de musique. Tu apprenais en jouant avec d´autres musiciens, des grands musiciens qui te montraient des choses, tu travaillais avec. Il y avait beaucoup plus d´orthodoxie dans la manière d´apprendre. Maintenant les gens ont plus tendance à " sonner comme " qu´avant.
Pendant longtemps, je voulais être un américain, ou un musicien noir américain, parce que je pensais que ma musique ne pourrait pas être réelle, authentique, parce que j´étais écossais. Et maintenant, je suis vraiment content d´être écossais. D´être ce que je suis.
Tom : Oui, pour moi, c´est ça les questions primordiales : qui es-tu et qu´est-ce que tu veux ? Et qu´est-ce que tu aimes ? Je crois que la musique ça devrait montrer quelque chose de soi-même aux autres : on doit avoir le courage d´être vulnérable. Regardez, c´est ce que je joue. Donc je crois qu´on traverse une phase d´imitation des autres, on capte des influences d´endroits différents. Il y a des musiciens qui font vraiment des copies. Ils sont vraiment une copie de quelqu´un d´autre. Ce que j´aime, c´est les gens qui ont été influencés par d´autres, mais qui sonnent comme eux-mêmes, qui sonnent comme quelque chose d´individuel.

Vous pensez que c´est important de connaître ses ancêtres ?

Tom : Oui, bien sûr. Ce sont les ancêtres des gens ! Tu joues là où ils vivaient, et la musique qu´ils ont faite. Il y a différents styles de musique, mais il y a des idées qui sont universelles, comme des rythmes, des organisations, des formes, des répétitions. Partout dans le monde il y a ces forces communes internes à la musique que tu découvres de partout. Dans la musique folk, dans la musique indienne, dans la musique africaine, partout, et ce sont comme des idéaux platoniques. Je trouve que c´est magnifique. En tant que musicien, tu dois négocier toutes ces attentes différentes et ces routes envisageables, et c´est magnifique, et il n´y a personne pour te dire… La chose géniale en musique, c´est qu´il n´y a personne pour te dire quoi faire. Tu reviens toujours à toi-même.

Spécialement dans le jazz…
Oui, parce que c´est improvisé.

Pour vous, le jazz, c´est l´improvisation?

Phil : Pour moi c´est la même chose, oui. Il n´y a pas de dieu pour te dire quoi faire, pas de pouvoir suprême. Tout le monde est égal et joue ensemble. C´est social, c´est dans le moment. C´est pourquoi c´est très puissant pour moi, et c´est pourquoi je n´aime pas entendre des saxophonistes jouer exactement comme…

Propos recueillis par Marion Velay le 25/03/2004