Le Jazz prend la Bastille

Colombrizzo à la Bastille

Salle de la gare supérieure du téléphérique, inexploitée jusqu´alors : Murs de pierres, voûtes, grandes baies vitrées donnant sur Grenoble ensoleillé. Un lieu humide et peu conventionnel qui s´est révélé d´une acoustique inattendue, et dans laquelle le duo aux accents italiens Colombo/ Rizzo à séduit les curieux et autres promeneurs en tenues estivale.

Deux musiciens italiens: le premier, Eugenio Colombo, est professeur au conservatoire en saxophone à Rome ; le second, Carlo Rizzo, est un prodige du tambourin d´origine napolitaine et vivant à Grenoble. Amis de longues dates, ces musiciens ont emmené le public dans un jazz peu conventionnel, inspirés de Roland Kirk et d´airs traditionnels napolitains. Chacun des musiciens a dévoilé des facettes sonores et rythmiques inhabituelles de ses instruments : saxophones alto et soprano ainsi que flûte traversière pour Colombo, tambourins multiples et atypiques pour Rizzo.

Colombo, petit, moustachu et caché derrière des lunettes noires, passe du slap (effet de claquement avec la langue contre l´anche du saxophone), au débit très rapide de notes (double staccato), qui vient rappeler les roulements de Rizzo. Il profite de sa maîtrise du souffle continu (ou " circular ") pour offrir des phrases interminables et des bourdons continus. Il va même jusqu´à jouer simultanément de ses deux saxophones, quant Rizzo et ses tambourins prototypes assurent une rythmique complète digne d´une batterie. On se croirait en présence d´un quartet !

Rizzo, grand et dégarni, avive la curiosité du plus grand au plus petit par ses tambourins, dans lesquels il a imaginé et fabriqué des systèmes de sourdines pour les clochettes, rajouté un timbre de caisse claire derrière la peau… Sur un autre, il a rajouté une poignée actionnant un bras appuyant sur la peau, ce qui lui permet de créer les sonorités d´une contrebasse. Sur un bendir (grand tambourin d´origine maghrébine), il use d´une baguette râpeuse pour créer à son tour des sons sourds continus. Que manque t´il à cet homme-orchestre ? La voix. Qu´a cela ne tienne, chantons maintenant une " mauresque " napolitaine en 14 temps.

Une étonnante modestie vis à vis de leur talent exceptionnel, qui reste ici au service de la musicalité.
Une grande complicité, une chaleur à l´italienne pour un jazz innovant et spontané.

Sam

Le Baroudeur du jazz

Errant dans les allées du festival de jazz, nous avons voulu rencontrer un passionné de cette extraordinaire musique. Christian, 55 ans, était venu prendre la Bastille samedi après-midi. Il nous a raconté sa vie, entre jazz et voyages. Le récit passionnant d´un homme envoûté par quelques notes de musique.

"Le jazz est un voyage permanent qui ouvre les portes de la perception, qui donne beaucoup d´énergie, affirme Christian, passionné de jazz depuis son enfance. C´est une musique optimisante qui m´aide à continuer. C´est une très bonne thérapie, une libération." La soirée en hommage à Duke Ellington, les concerts du passage de l´Alpe, ce baroudeur quinquagénaire écume depuis 30 ans les concerts de jazz du monde entier et ne rate pas une édition du festival de jazz grenoblois.

A 10 ans, son père l´emmène voir Lionel Hampton. "Le jazz américain m´a beaucoup touché. Les jazzmen noirs sont si émouvants. Leur musique exprime un passé plein de souffrance. Reflet de leur foi intérieure, elle est d´une richesse sans limite.", souligne Christian. Mais à 14 ans, il oublie sa sensibilité pour ces quelques notes de jazz et crée un petit groupe proche du style des Beatles "Les Outlaws". C´est le début d´une époque contestataire où le mouvement hippie, rebelle occulte dans la tête de beaucoup de jeunes les autres mouvances musicales. Il suit des études de journalisme et part au Vietnam. Témoin des horreurs de la guerre, il rentre transformé. "Je ne voulais plus faire ce métier car les journalistes de nos jours ne sont plus que des jouets de l´empire médiatique", explique-t-il.
A 25 ans, il renoue avec ses premiers amours au festival de Montreux. "Je me suis rendu compte que le jazz est une musique qui pousse à la réflexion et non à l´aliénation", se souvient Christian. Il parcourt les routes du monde en quête de spiritualité. Australie, Japon, Chine, Amérique du Sud, Moyen-Orient, il découvre les mystères de nombre de civilisations et trouve dans le bouddhisme une philosophie de vie. "Le jazz, par sa beauté, se rapproche de cette manière de penser la vie. C´est l´épanouissement, la possibilité que chacun puisse trouver son jazz intérieur et l´offrir aux autres", note-t-il. Il ne collectionne pas les disques par convictions antimatérialistes mais ses souvenirs sont une véritable discothèque.
Stan Getz, Petrucianni, Jean-Luc Ponty, Ella Fitzgerald, Errol Garner, il croise sur son chemin les plus grands de la scène et ne rate pas une occasion d´admirer leur talent. "J´aime les lives de jazzmen car ces hommes transcendent leur condition humaine pour transmettre leur musique", précise-t-il. En 1985, il participe au premier festival de jazz à Bombay. "C´était très bizarre car le public était avide de découverte mais la communion avec les musiciens était difficile", se remémore-t-il.

Aujourd´hui, Christian est devenu réalisateur de documentaires. Il continue à parcourir les chemins de la planète à la découverte de civilisations perdues. Un pèlerinage sur les hauteurs de l´Himalaya, une aventure avec les Naghas, population primitive entre l´Inde et la Birmanie, son dernier documentaire parle du Pakistan. "C´est une sorte de road-movie qui part de Karachi jusqu´à la frontière chinoise, explique t-il. Il n´y pas de commentaires mais la musique de Miles Davis, qui nous transporte dans un monde onirique".

Et quand enfin, il se pose à Grenoble, ce solitaire au grand cœur allume sa radio et se branche sur les ondes de France Culture. "Tous les soirs de 18 à 19h, j´écoute assis sur mon canapé une émission qui retrace l´amour que je porte au jazz", raconte-t-il.

Séverine