Delirium

Parfois, on peut passer un concert entier sur le fil, sans oser se laisser glisser dans la musique. Parce qu´on n´arrive pas à faire confiance à l´artiste et à sa proposition. Parce qu´on doute de sa capacité technique ou musicale, et qu´on préfère rester sur nos gardes.
Et puis, certains musiciens savent mettre à l´aise les spectateurs. Avec le morceau d´ouverture du concert, c´est comme si Delirium voulait nous rassurer pour la suite. Le niveau, ils l´ont. Dès les premières notes, on comprend qu´on n´a pas de souci à se faire, qu´on peut se laisser aller.

Ils sont quatre, trois danois, un finlandais. Ils arrivent sur la scène, s´emparent de l´espace, dégainent et dégomment. Mikko Innanen joue de deux saxophones à la fois, glisse un dictaphone dans son instrument. Kasper Tranberg joue fort, mais parvient aussi à plonger le théâtre dans un silence total, autour d´une mélodie fragile avec sourdine. Stefan Pasborg frappe, clair et net. Et quand Jonas Westergaard joue, son épaule danse au-dessus de sa contrebasse.

Les quatre de Delirium n´ont pas seulement une excellente maîtrise de leurs instruments. Ils proposent une folie qui groove, un délire en première classe. Chacun d´eux compose, et les titres des morceaux reflètent leur humour et leurs origines diverses.

Ces quatre là sont des sculpteurs. Sculpteurs de l´espace, lorsqu´ils prennent possession de la scène, s´éclipsent quand ils ne jouent pas, se glissent derrière les pendrillons, lancent un son alors qu´on les a oublié un instant, puis reviennent en jouant. Sculpteurs du son puisqu´ils jouent avec les micros et les distances. Ils ne triturent pas leurs instruments, ils n´utilisent pas non plus de samples ou de machines électroniques. Ils jouent avec leurs instruments et les déplacent dans l´espace comme pour mettre en scène les sons.
Sculpteurs du silence, lorsque grâce à un public attentif, qui a le tact de ne pas applaudir pendant les morceaux, on peut entendre chaque son disparaître.

Delirium est né en 1999, lors d´une année d´études du saxophoniste finlandais à Copenhague. Conscients de la richesse des échanges interculturels, chaque membre multiplie les rencontres. Entre autres, le batteur Stefan Pasborg flirte avec la France, le trompettiste Kasper Tranberg avec le Japon.

A écouter : "Delirium", Fiasko Records

Marion Velay

le 23/03/2004